Il l’avait prédit à maintes reprises, il l’a fait. Hier, le président Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire international avec l’Iran, une entente adoptée il y a un peu moins de trois ans, après 13 ans de négociations, et qu’il avait plusieurs fois décrite comme « désastreuse », « démentielle » et « déséquilibrée ».
Le président Trump a maintenu le cap, malgré un blitz de dernière heure de ses partenaires européens. Plus que ça : il a choisi la ligne la plus dure, en rétablissant l’ensemble des sanctions levées dans la foulée de l’accord, signale Naysan Rafati, responsable du dossier iranien pour l’International Crisis Group (ICG).
Il s’agit de la plus importante décision en matière de politique internationale depuis l’entrée en fonction de l’administration Trump.
Présenté comme un moyen de ramener Téhéran à la raison et de créer un climat favorable à la sécurité et à la paix, ce retrait unilatéral risque au contraire d’exacerber les tensions internationales et de jouer en faveur des factions iraniennes les plus conservatrices, craignent les experts.
Ce qui est en jeu, ici, c’est la survie même de cet accord, et la possibilité d’une reprise du programme nucléaire iranien.
Dans l’immédiat, cet accord multipartite n’est pas mort, tempère Naysan Rafati en entrevue téléphonique. Ainsi, le président iranien Hassan Rohani a réagi à l’annonce américaine par une attitude attentiste – il se donne quelques semaines pour déterminer la suite des choses.
La survie de l’accord se trouve maintenant entre les mains des signataires européens, soit l’Union européenne, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, que l’International Crisis Group (ICG) appelle à tout faire pour sauver l’entente nucléaire.
« Dans la foulée de cette décision téméraire et injustifiée, la priorité devrait être de sauver l’accord sans les États-Unis et d’éviter la perspective malvenue d’une nouvelle crise nucléaire au Moyen-Orient. »
— L’International Crisis Group, dans une réaction à l’annonce de Donald Trump
Donald Trump a justifié sa décision en reprochant à l’Iran d’avoir « menti » sur ses véritables intentions nucléaires. Pourtant, non seulement l’Agence internationale de l’énergie atomique, mais aussi les propres conseillers du président des États-Unis, incluant le directeur du renseignement Dan Coats, sont affirmatifs : l’Iran a respecté et continue de respecter ses engagements internationaux signés en juillet 2015.
Cela n’en fait pas un ange sur la scène internationale. Et Donald Trump n’avait pas tort de lui reprocher son rôle au Yémen et en Syrie, ou encore de citer son programme de missiles balistiques.
Mais tous ces problèmes auraient pu être traités en partant de l’accord existant, fait valoir Naysan Rafati. Au contraire, Donald Trump a choisi la voie de la confrontation.
À quoi peut-on s’attendre dorénavant ?
Cette décision aura des répercussions immédiates sur les relations diplomatiques entre Washington et l’Europe. Déjà, l’ambassadeur des États-Unis à Berlin, Richard Grenell, dans un gazouillis publié hier, a enjoint aux entreprises allemandes faisant des affaires avec l’Iran de mettre immédiatement fin à leurs activités.
Le bras de fer qui s’engage maintenant rend donc la position européenne extrêmement délicate. Préserver l’accord représente un « immense défi », reconnaît Naysan Rafati.
Cela dit, l’Europe a intérêt à maintenir ses relations avec Téhéran, et inversement, souligne Vahid Yücesoy, doctorant à l’Université de Montréal et spécialiste de l’Iran.
« L’Europe a besoin du pétrole iranien, tandis que pour l’Iran, l’Union européenne est un partenaire incontournable. »
— Vahid Yücesoy, doctorant à l’Université de Montréal et spécialiste de l’Iran
Ce dernier s’inquiète toutefois de l’impact qu’aura la décision américaine sur le fragile équilibre du pouvoir à Téhéran.
Concrètement, c’est le président Hassan Rohani, considéré comme représentant de l’aile modérée du pouvoir iranien, qui a défendu l’accord nucléaire, en promettant aux Iraniens un allègement des sanctions et une reprise économique.
En réalité, les sanctions n’ont pas toutes été levées. Les banques iraniennes continuent à fonctionner dans une bulle, à l’extérieur du système bancaire international.
Une économie fragile
La réinstauration de tout le train de sanctions américaines risque de faire mal à l’économie du pays, déjà extrêmement fragile. La devise iranienne a perdu un tiers de sa valeur depuis le début de l’année. Le taux de chômage atteint 30 %. Les prix explosent. Et l’insatisfaction générale a poussé des Iraniens à descendre manifester dans les rues en décembre et janvier derniers.
Dans ce contexte, le retrait américain donne des munitions aux conservateurs iraniens. La première victime de cette décision, c’est Hassan Rohani, a écrit hier le New York Times.
À moyen terme, Téhéran pourrait finir par se retirer à son tour de l’accord, et reprendre son programme nucléaire.
« Le pire, c’est qu’avec le retrait de Trump, il n’y a pas de plan B. »
— Vahid Yücesoy, doctorant à l’Université de Montréal et spécialiste de l’Iran
La catastrophe n’est pas nécessairement pour demain, ajoute Michel Fortmann, spécialiste du nucléaire affilié au Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM) de l’Université de Montréal.
Peut-être que l’accord nucléaire sera sauvé. « Les échanges iraniens avec les États-Unis sont minimaux, ils ont tout intérêt à préserver l’accord avec l’Europe. »
Mais en même temps, il suffirait de peu pour que tout dérape. Déjà, les tensions sont fortes entre l’Iran et Israël sur le terrain syrien.
Israël a toujours été opposé à l’accord nucléaire iranien. Un courant de plus en plus fort dans ce pays prône une confrontation avec Téhéran, selon le principe : « mieux vaut maintenant que plus tard ».
Pas de catastrophe en vue dans l’immédiat, donc. Mais il n’en faudrait pas beaucoup pour provoquer un dérapage.